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De nombreux soldats souffrant d’une pathologie pulmonaire (tuberculeux, gazés) ont été hospitalisés à Saint-Jean-Cap-Ferrat. Ils eurent le privilège de pouvoir être soigné dans ces lieux de toute beauté à la suite d’une histoire d’amour, celle survenue quelques années auparavant entre leur ancien monarque Léopold II (1) et une jeune fille nommée Blanche Delacroix (2).
L’endroit, une presqu’île parsemée de pins parasols et d’arbres en fleurs était un lieu paradisiaque. Léopold II, séduit par le paysage aperçu de son yacht « l’Alberta », y avait acheté une propriété au maire de Villefranche pour y passer ses loisirs avec sa jeune maîtresse.
La villa des Cèdres abrita donc les amours du Roi pour Blanche Delacroix de 50 ans sa cadette. Celle-ci, devenue baronne de Vaughan par la grâce du Roi, écrivit plus tard les circonstances de la naissance de leur fils aîné Lucien dans la villa des Cèdres :
« Il décida que je ferai mes couches en France, au Cap-Ferrat, où la couronne avait un domaine : la villa des Cèdres. Je m’y installai dès notre retour en France. Le Roi qui était rentré à Bruxelles venait m’y voir tous les 15 jours. Ces allées et venues continuelles entre la Belgique et la Côte d’Azur firent encore beaucoup jaser. C’est à ce moment qu’un journal humoristique baptisa Léopold « Le Chemineau Royal ». Ma grossesse fut très difficile. L’exercice m’était recommandé ; mais à cette époque les routes de la région étaient affreuses et n’encourageaient guère à la marche. C’est alors que le Roi s’entendit avec le préfet des Alpes, M de Joly, pour que le gouvernement français consentît à construire à moitié frais une route qui partait du pont Saint-Jean pour aboutir à la villa des Cèdres. (…). Quand vint le moment de mes couches, le Roi arriva de Bruxelles avec le professeur Thiriar (3), et le neveu de celui-ci, le docteur Lucien Thiriar : ils s’installèrent sur le yacht Alberta qui avait jeté l’ancre près de Villefranche. Chaque soir un canot à vapeur conduisait le Roi et les docteurs à un quai relié à ma villa par un passage souterrain. Puisque je parle de ce passage ; je ne peux m’empêcher de noter le goût bizarre qu’avait le Roi pour tout ce qui dans une architecture, dans une construction avait un caractère mystérieux, une disposition secrète. (…). Ironie du destin ! Le Roi qui avait tant souhaité un héritier pour la Belgique n’avait eu de la reine que des filles. Un fils lui naissait maintenant qui ne porterait jamais la couronne. (…). Selon la volonté du Roi, il fut baptisé huit jours après sa naissance dans la chapelle privée de la villa des Cèdres sous le nom de Delacroix, qui est mon nom de famille, et sous le prénom de Lucien, qui était celui de son parrain, le docteur Lucien Thiriar. (…). Nous étions en février. Tant que dura ma convalescence, le Roi ne voulut pas me quitter, et s’installa à la villa des Cèdres, sa demeure officielle étant le yacht Alberta qu’il regagnait chaque matin à dix heures, pour donner des audiences et travailler avec ses secrétaires. L’après-midi nous « sortions en auto, nous visitions les nombreuses propriétés que le Roi possédait entre Villefranche et Antibes ; puis sitôt rentrés, un valet de pied allait à l’Alberta chercher le courrier ; le Roi travaillait dans sa chambre jusqu’à minuit. »
Le Roi Léopold et sa maîtresse eurent un deuxième fils prénommé Philippe (3).
L’accouchement se passa au château de Lormoy près de Paris. Le bébé malheureusement présentait un handicap dont l’annonce douloureuse à la maman fut faite par le docteur Thiriar. Voici le récit émouvant de cette annonce par la baronne de Vaughan elle-même :
Eh bien dit le docteur Thiriar en me pressant paternellement les mains, votre enfant est né avec un bras court et atrophié, absolument comme un ascendant de sa Majesté. Mais soyez raisonnable, ayez du courage. Si cruelle que soit cette infirmité, il ne sera pas impossible de la dissimuler.
A ce moment, le Roi qui écoutait derrière la porte entra, me serra dans ses bras, et c’est à travers ses sanglots et les mines qu’il me dit : « Répète, répète avec moi cette prière : « Mon Dieu, je vous remercie de m’avoir donné cet enfant. Je n’ai aucune révolte que vous me l’ayez donné infirme ; et je vous demande la grâce de me le conserver ». Je sus plus tard par le docteur Thiriar que Léopold, religieux jusqu’à la superstition, crut que cet enfant mutilé était une pénitence pour m’avoir soupçonné d’infidélité. Il fut baptisé sous le prénom de Philippe, et comme son frère sous le nom de Delacroix. Il devait mourir à six ans.
Après la naissance de l’enfant, Léopold décida de passer l’hiver au Cap-Ferrat avec Blanche et ses deux garçons.
« Le Roi qui ne pouvait rester un mois sans faire travailler les architectes et les maçons, profita de ce séjour pour faire édifier à son usage un charmant pavillon, exacte copie du pavillon de la musique à Versailles. Et il eut soin de le faire relier par un passage souterrain à la villa des Cèdres qui était ma résidence ».
Le Roi des Belges fit donc construire une deuxième villa « la Leopolda » au style italien et recouverte de stucs et ensuite une troisième villa, « la Saint-Second » !
Sur « le Chemin du Roi » reliant les villas le long de la côte, existe une petite chapelle dédiée à Saint François de Salle et dans laquelle fut baptisé le premier fils naturel de Léopold. Un monument offert au Roi en 1911 par « quelques amis de la Côte d’Azur » jouxte aussi ce chemin et rappelle l’illustre propriétaire qui animait ces lieux. Léopold acheta tout ce qui était à vendre au Cap-Ferrat. Une carte de 1909 indique que la moitié des terrains de Saint-Jean était propriété de l’Etat belge ! Le Roi érigea de multiples barrières sur les terres dont il faisait l’acquisition et bientôt les habitants éprouvèrent des difficultés pour atteindre la côte afin de pêcher. Las de cette situation, pour faire comprendre au Roi qu’ils étaient encore « maître chez eux », ils décidèrent un jour de barrer le pont qui reliait le cap au continent avec un calicot sur lequel on pouvait lire : « Saint-Jean ne sera pas une colonie belge ».
Léopold II, infatigable bâtisseur ne limita pas ses constructions à trois villas sur le Cap. Il en fit bâtir d’autres. Trois d’entre elles furent affectées aux repos de ses officiers qui revenaient du Congo : « La Banana », « La Boma » et la « Matadi». Il n’oublia pas non plus son confesseur Mgr Charmetan et lui offrit « La Mauresque », villa qui fut vendue plus tard à l’écrivain Somerset Maugham.
Léopold devint veuf en 1902. Il se maria sept ans plus tard avec sa maîtresse, juste avant la grave intervention chirurgicale qu’il avait à subir en urgence pour traiter une paralysie intestinale. L’intervention fut pratiquée par le docteur Depage assisté des docteurs Mayer, Thiriar, Stinéon et Lucien Thiriar. L’anesthésie du malade fut faite par le docteur Goosens. Le Roi succomba malheureusement d’une embolie quatre jours après l’opération, le 17 décembre 1909.
Après sa mort, les propriétés du Cap-Ferrat restèrent dans le domaine de la couronne. Le Roi Albert qui succéda à son oncle sur le trône de Belgique, les mit à la disposition du service de santé de l’armée belge pendant la durée de la guerre. Cap-Ferrat devint alors un hôpital militaire spécialisé dans les maladies respiratoires. Il était divisé en deux sections. La première section, dite section des Cèdres, hospitalisa du 23 janvier 1916 au premier juillet 1919, 2.492 soldats. La deuxième section, dite section Col du Caire, fut ouverte le 15 janvier 1916 et ferma le 16 mai 1919, 1328 soldats y furent hospitalisés. Souvenir tragique de cet hôpital : le carré des Belges dans le cimetière de la pointe Sainte-Hospice, le « cap du cap », où 90 soldats belges reposent dans des tombes alignées devant la mer majestueuse.